Des rituels en entreprise pour recréer du lien

Rencontre avec Makeba Chamry, Designer de rituels

Des rituels en entreprise pour recréer du lien : c’est ce que propose Makeba Chamry-avec le Bureau des Rituels. Dans une ère qui oublie les relationnelles et émotionnelles dans le rapport au travail, les rituels sont des leviers de transformation pour reprendre le temps de la reconnexion à soi, aux autres et au vivant.

Makeba Chamry-Makhamat, Designer de Rituels

Des rituels en entreprise, cela paraît étonnant ! Pourquoi en proposer, quels en sont les bénéfices ?

M.C : J’ai constaté que les entreprises avaient une vraie problématique d’attractivité et de fidélisation en ces temps de transformation et de crise. Une des raison est qu’on ne prend pas suffisamment en compte la dimension humaine, relationnelle et émotionnelle dans notre rapport au travail. C’est ce qui nous empêche d’appréhender les transformations de manière pertinente alors qu’une approche plus sensible serait nécessaire.

Les rituels répondent justement parfaitement à ces enjeux ! Ce sont de formidables leviers pour réinventer le faire-ensemble dans l’entreprise. Ils ont pour bénéfices d’ouvrir au sein des collectifs, des espaces de régénération et d’équilibre. En particulier pour :

  • Nourrir la cohésion, le sens et le sentiment d’appartenance
  • Apaiser les incertitudes en proposant des moments d’ancrage et de partages émotionnels dans l’accélération
  • Organiser naturellement une continuité avec le vivant, de renouer avec des rythmes plus naturels, redessiner des nouvelles temporalités corporate

Comment en es-tu arrivée à créer des rituels pour les entreprises ?

M.C : J’ai un background très multiculturel !

Je suis née à Moscou, j’ai des origines russo-ukrainiennes et tchadiennes où j’ai passé toute mon adolescence. J’ai poursuivi mes études dans un parcours assez classique en école de de commerce, à Paris Dauphine et puis à l’ESCP.

J’avais déjà un lien très fort aux rituels dans mon enfance et mon adolescence. 

© Le bureau des rituels

C’est finalement en travaillant sur des projets de transformation dans les entreprises, en accompagnant des équipes sur de nouvelles pratiques de management que j’ai fait le rapprochement entre ces deux univers. J’ai constaté qu’il manquait cette dimension relationnelle et émotionnelle dans notre rapport au travail. Les rituels apportent ces moments « augmentés », à forte valeur ajoutée, pour faire vivre et grandir un collectif. C’est un cadre sécurisant, régénérant où l’on prend le temps de la relation, de la création et où l’on recherche une connexion à soi, aux autres et à son écosystème.

Comment se définit un rituel ?

M.C : La première confusion est entre le rituel et la routine. Ils n’ont pas la même efficacité : la routine est quelque chose de mécanique où on se retrouve en pilotage automatique. C’est utile pour avoir des repères, au quotidien, c’est facile. A l’inverse, un rituel se vit avec beaucoup d’intention, ce sont des moments coupés du quotidien où l’on va vivre des moments avec du sens, hors du temps.

Depuis toujours, les rituels accompagnent les communautés dans les changements, pour leur permettre de trouver un sentiment d’appartenance, d’incarner des valeurs communes, à stabiliser les émotions. Ils donnent également un sentiment de contrôle dans des temps d’incertitudes.

J’ai identifié cinq piliers dans le protocole du rituel :

  • Trouver un temps et un cadre dédié au rituel
  • Porter une intention: quel est l’objectif du rituel ?
  • Créer une ouverture et une clôture car dans les rituels on entre dans un temps différent du temps ordinaire
  • Être dans un temps présent (« ici et maintenant »)
  • La nomination d’un passeur de rituel, qui va faciliter et cadrer le rituel, être garant d’une forme de confiance, de sécurité pour les participants

Le rituel est aussi une expérience de vulnérabilité, on apprend à être vulnérable et être vulnérable, c’est être vivant parmi les vivants !

Qu’est-ce qui fait la force d’un rituel ? Peux-tu nous raconter ?

M.C : La force d’un rituel est de permettre le partage et la transformation. Les rituels en entreprise sont par exemple adaptés des rituels ancestraux. Dans la méthodologie du protocole de rituel que j’ai élaborée, j’ai travaillé avec des anthropologues, des designers pour adapter des rituels ancestraux pour l’entreprise et ne retenir que ce qui en fait le cœur.

Parmi les rituels ancestraux les plus importants, on peut citer les rituels de passage comme par exemple les solstices qui sont fêtés dans toutes les cultures, continents et religions du monde. Ils permettent la transformation : lâcher l’ancien pour pouvoir accueillir le nouveau.

Par exemple, chez les amérindiens, pendant le rituel de passage qui s’appelle “la quête de vision”, on se met en marge de la communauté. On jeûne pendant 4 jours dans la forêt. Ces épreuves, physiquement difficiles, créent une rencontre avec une mort symbolique pour aller vers une renaissance, un renouveau. Il existe beaucoup de rituels ancestraux sur ce mode.

Le rituel est aussi une expérience de vulnérabilité, on apprend à être vulnérable et être vulnérable, c’est être vivant parmi les vivants ! Le rituel nous permet une continuité dans notre rapport au vivant et d’habiter le monde différemment en se connectant à soi, aux autres et au vivant, à un monde plus grand.

Si on pouvait par exemple avoir des rituels en entreprise connectés aux saisons, ça nous permettrait de se connecter à la nature et de retrouver ce lien à la nature qu’on a perdu.

Comment adapter ces rituels au contexte de l’entreprise ?

M.C : Dans le cadre d’entreprise, on ne va pas emmener ses collaborateurs jeûner 4 jours au cœur de la forêt ! Le rituel en entreprise, c’est un moment particulier et récurrent où le collectif va se réunir pour un moment de partage, de conversation. Il est primordial d’y apporter une pratique symbolique que l’on ne va pas retrouver dans une routine. On va utiliser le symbole pour nourrir le sens, et retrouver cette dimension émotionnelle dans les partages. 

Le symbole fonctionne très bien pour se débarrasser de ce qu’on ne veut plus, mettre à distance les choses de manière plus efficace.

Existe-il différents types de rituels ?

M.C : Oui ! j’ai identifié quatre familles de rituels :

  • Les rituels de célébration pour marquer les étapes clés
  • Les rituels de création pour mobiliser l’énergie créative et l’innovation
  • Les rituels de cohésion pour mieux collaborer, nourrir la qualité relationnelle et incarner la culture commune des équipes
  • Les rituels de passage (très importants à mes yeux bien qu’ils n’existent quasi-pas en entreprise) pour donner des repères dans la transformation, gérer les émotions, nourrir la résilience et apporter un confort psychologique dans l’incertitude.

Qu’est-ce qu’un bon rituel en entreprise ? Ou à l’inverse un mauvais rituel en entreprise ?

Canevas de design de rituels

M.C : A partir du moment où le rituel a été a co-designé, co-construit, aucun rituel ne peut être mauvais. Il est important de ne jamais forcer personne à prendre part à un rituel car il n’existe pas d’obligation de participation dans le rituel.

Enfin, un rituel n’est pas immuable dans une organisation : il peut évoluer, il doit être adapté à une situation, dans un monde qui va très vite. S’il a perdu de sons sens au fil du temps, c’est peut-être le moment de le faire évoluer, soit l’enrichir, soit l’arrêter… Il peut ne plus avoir lieu d’être tel qu’il avait été conçu. Il n’y a de ce fait aucune raison de ne pas le faire évoluer ou l’arrêter !

Toutes les entreprises peuvent-elles mettre en place des rituels ?

M.C : Dans l’idée oui ! Après tout dépend de l’envie des équipes dirigeantes, des équipes, de leur rapport à ce mot « rituel ». Dans les organisations qui sont déjà matures sur le plan de l’intelligence collective, les rituels s’implémentent plus facilement.

L’idée n’est pas de se dire qu’il existe un rituel qui va fonctionner pour tout le monde.

Il doit être organique, c’est-à-dire répondre à une problématique, à la culture du collectif et/ou de l’entreprise dans laquelle il s’inscrit et être ainsi porteur de sens.

Un rituel en entreprise pour recréer du lien

As-tu des exemples de rituels faciles à mettre en place en entreprise ?

M.C : Dans mon livre « Les rituels en entreprise – La nouvelle énergie de transformation », je propose 4 fiches de rituels par famille, des plus simples aux plus complexes.

Si je ne devais garder que deux rituels à mettre en place facilement en entreprise, ce seraient :

  • La météo des émotions qui est un rituel de cohésion simple mais qui peut tout à fait être ludique pour mettre de la clarté sur le niveau d’énergie de chacun et qui va permettre à chacun de prendre conscience de ses émotions et de partager son ressenti.
  • Le voyage du héros, qui lui est plutôt un rituel de passage pour cultiver les petites histoires qui font la culture de l’entreprise. Ce rituel de narration est un mécanisme puissant pour bâtir ou restaurer la confiance au sein des équipes tout en laissant à chacun la possibilité de se réapproprier les histoires à sa façon, de les raconter soi-même ou par d’autres.

Nous avons besoin de nouveaux récits pour incarner l’ADN de l’entreprise, nourrir l’apprentissage, vidanger nos émotions, ce sont des rituels que je recommande vivement!

Merci ! Si on veut travailler avec toi, ou s’approprier ce sujet que pouvons-nous faire ?

"Les rituels en entreprise – La nouvelle énergie de transformation", de Makeba Chamry-Makhamat, co-écrit avec Edouard Malbois, aux éditions Eyrolles

M.C : Dans un premier temps, il y a mon livre « Les rituels en entreprise – La nouvelle énergie de transformation », co-écrit avec Edouard Malbois, aux éditions Eyrolles.

Ensuite, je propose différentes offres d’accompagnement :

  • Une offre d’inspiration avec des conférences / keynotes pour ceux qui souhaitent simplement s’inspirer et se laisser le temps de la réflexion
  • Une offre d’expérimentation avec une session de workshop de co-design sur une demi-journée dont l’objectif est de prototyper un rituel collectif pour les équipes
  • Une offre de formation en intra ou inter entreprise pour tous ceux qui souhaitent proposer des rituels donc ça peut être les entreprises, les facilitateurs ou les coachs
  • Une offre particulière “le 3e lieu” avec un collectif (une architecte et une facilitatrice) sur les espaces/les équipes et les rituels car il y a un véritable enjeu aujourd’hui dans les espaces qui doivent être vivants et incarner/ faciliter les transformations.

Merci à Makeba pour cette interview très inspirante qui replace le vivant et la reconnexion au coeur de nos rapports au travail !

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